Quelles sont les traces d’occupations que les Pictes nous ont laissées ? Qu’apprenons-nous sur eux ? Comment vivaient-ils ?
Dans les derniers siècles avant notre ère, les sociétés insulaires sont rurales. L’habitat est édifié sur des sites naturellement défensifs et clôturés d’une enceinte. Une grande variété de constructions sont observables selon les régions car l’environnement, les ressources naturelles, les traditions locales ou encore les besoins politiques et militaires modèlent les sites de manière unique. Ainsi, dans le Nord et l’Ouest de l’Ecosse, les habitats sont plutôt de forme circulaire alors qu’ils sont rectangulaire dans le Sud. A Pitcarmick, une maison longue aux coins arrondis est attribuée aux Pictes. De même, les matériaux de construction, tels que le bois, le torchis, la tourbe, la paille, le gazon ou la pierre, sont généralement extraits de l’environnement immédiat. Ces structures, qui forment des exploitations agricoles, vivrières et pastorales, voire minières, sont vraisemblablement restées similaires durant les siècles suivant. Malgré les nombreuses méconnaissances actuelles, l’archéologie a permis d’ouvrir de nouvelles voies d’interprétations.
DES FORTS POUR SE PROTÉGER
Au cours du haut Moyen Age (~5e-9e s.), trois types principaux d’architecture du Pictland sont identifiées : les hillforts (fig.1), perchés sur des collines, les costal forts, localisés le long des côtes, et les ringforts, petites fortifications circulaires en terre ou en pierre. A cela nous pouvons ajouter d’autres structures d’habitat, nombreuses en Irlande et en Grande-Bretagne, comme les crannogs (fig.1), des îlots construits sur des marais ou des lacs, et les brochs, des maisons fortes dominées par des tours rondes. Certaines de ces structures, qui datent de l’Age du Fer (plus tardif sur l’île britannique), sont encore utilisées durant le haut Moyen Age.

Fig.1 : Reconstitution d’un crannog (source : wikipédia)
On observe une évolution des fortifications : entre le 5e et 6e siècle les enceintes sont petites alors qu’entre le 7e et 8e siècle elles sont plus grandes et plus élaborées. Cela nous donne des indices sur l’évolution des sociétés post-romaines : les chercheurs émettent des hypothèses intéressantes sur l’évolution du peuplement septentrional. Ils distinguent 2 phases : une phase rurale durant laquelle les communautés sont dispersées sur le territoire (“farmers republics”) puis une phase où les communautés sont regroupées et ont formé des structures plus vastes et plus organisées (“pré-urbain” ou “place centrale”). Ces regroupements défensifs seraient provoqués par l’arrivée d’envahisseurs, notamment les Romains puis les Vikings.
Le hillfort du Mont Tap O’Noth de Rhynie (voir image de présentation de l’article (source Université d Aberdeen) et ses environs ont permis de réécrire l’histoire des Pictes et pourront peut-être éclairer les scientifiques sur ces phénomènes de peuplement. On y entraperçoit différents aspects de la vie des communautés : l’habitat et son organisation générale, son art et son artisanat ainsi que ses pratiques funéraires.
Rhynie, lieu de pouvoir

Fig.2 : Structures rendues visibles grâce au Lidar (source Université d’ Aberdeen).
Le site de Mont Tap O’Noth, près du village de Rhynie (Aberdeenshire), a prouvé que le monde picte était bien plus structuré que ce que l’on pensait. En effet, cette colline fortifiée est la plus grande, et l’unique cité picte identifiée à ce jour (21 hectares) ; avant les fouilles de 2011, les chercheurs considéraient que les habitats de cette dimension n’apparaissaient… qu’à partir du 12e siècle ! Elle fut probablement occupée dès le 3e siècle et majoritairement peuplé entre le 5e-6e siècles avec près de 800 huttes à son apogée (fig.2), c’est-à-dire environ 4000 habitants ! Ces derniers étaient répartis sur le mont mais aussi dans la vallée. Un grand bâtiment a été identifié sur le mont et révélerait la présence d’une élite, cette “résidence royale” ou “principale” pourrait constituer les premiers signes d’une royauté picte alors en pleine émancipation. La vallée se compose, quant à elle, d’une multitude de huttes occupées par des habitants plus modestes mais où de riches activités commerciales semblaient être présentes. La découverte d’une métallurgie de haut niveau, de produits de luxe et importés, telles que des perles en ambre (est de l’Angleterre), de la vaisselle de verre (ouest de la France) et, évidemment, du vin de Méditerranée témoignent d’une organisation sociale structurée.
Rhynie abrite deux fortifications distinctes : une structure en pierre située sur le Mont Tap O’Noth et une colonie localisée en amont. Le fort date de l’Age du fer et serait réutilisé alors que les structures de la vallée sont d’origine pictes, et non protohistoriques comme le pensait les chercheurs. Le fort, sur le Mont Tap O’Noth, a révèle des surprises : les pierres des murs ont fusionné, c’est-à-dire qu’un processus de vitrification a été effectué sur ces dernières pour les rendre plus résistantes. Comment ont-ils pu générer autant de chaleur ? Les archéologues pensent que les murs ont tout simplement été encerclé de bois puis incendiés. Les fouilles de la vallée ont révélé une série d’enceintes importantes protégeant trois bâtiments : une première phase (400 ap. J.-C.) se caractérisant par deux larges enceintes intérieure et extérieure, et une seconde phase (500-550) s’identifiant par une unique enceinte élaborée et palissadée.
De plus, phénomène exceptionnel, ces enceintes sont associées à une pierre picte encore située à son emplacement d’origine, qui pourrait avoir été placée devant une entrée fortifiée. D’ailleurs, notons que la concentration de pierres dressées autour de Rhynie est la plus importante de la région avec 8 pierres connues, toutes de classe 1. Deux stèles marquent profondément l’imagination : “Rhynie Man” (fig.3), un guerrier à l’air plutôt agressif, du moins aux dents visiblement aiguisées, et Rhynie 3, un guerrier à l’air plutôt bienvaillant. Se faisaient-ils face dans le paysage ? La combinaison de ces stèles a-elle une signification ?

Fig.3 : Rhynie Man : guerrier tourné vers la droite et tenant une hache (source : Canmore)
Conclusion
De nombreuses questions demeurent, quoiqu’il en soit cet hillfort, localisé sur un emplacement stratégique, était un centre de pouvoir local ouvert vers le monde extérieur, commerçant aussi bien avec des régions proches que lointaines. (Ou en les pillant…). L’organisation spatiale, le commerce à grande échelle, l’artisanat de qualité ainsi que la série d’enceintes et les pierres sculptées soulignent la hiérarchisation de cette société. Même si les chercheurs ignorent son fonctionnement, elle est bien présente et elle est sûrement à l’origine de la formation des royaumes pictes.
BIBLIOGRAPHIE:
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SITOGRAPHIE:
– REAP (Rhynie Environs Archaeological Project), consulté le 10/07/2020
URL: https://reaparch.blogspot.com/
– NOSAS Archaeology Blog : Cathy MACLVER, Rhynie Excavations Season 4 (2016) [en ligne], publié 2016, URL: https://nosasblog.wordpress.com/2016/12/04/rhynie-season-4
– Université d’Aberdeen, The Northern Picts Project : Alice WATTERSON, Rhynie – An Archaeological Investigation, publié en 2017, consulté le 02/07/2020, URL: https://www.abdn.ac.uk/geosciences/departments/archaeology/the-northern-picts-project-259.php