Choc d’une rencontre entre Vikings et Anglo-saxons et 1er pas dans la construction de l’Angleterre
L’île de Lindisfarne est aujourd’hui un prieuré en ruine dans le Northumberland, au nord-est de l’Angleterre. C’est un château et une zone naturelle protégée. Il évoque surtout pour les amateurs d’Histoire le choc d’une rencontre entre deux mondes.
Le monastère fut fondé en 634 après J.C. sur l’île sacrée de « Lindisfarne » (à l’étymologie exacte incertaine) par un moine irlandais : Saint Aidan. Il partit de l’abbaye d’Iona sur la côte Ouest de l’Angleterre, connu comme lieu de formation des scribes, moines copistes et enlumineurs. Il amena avec lui le savoir-faire et les techniques de l’enluminure. Lindisfarne devient bientôt un centre de rayonnement de la culture religieuse dite « chrétienne celtique » ainsi que d’évangélisation des régions du nord à celle de la Mercie, plus au sud. Une évangélisation qui concernait les plus modestes jusqu’à la haute noblesse.

l’Abbaye d’Iona en Écosse
Un lieu de création artistique
Lindisfarne est un prieuré, un édifice religieux d’une importance à peine moindre qu’une abbaye, à la tête duquel un prieur dirige une petite communauté de moines. La vie quotidienne y est rythmée par la prière, la lecture ou bien encore le prêche et la copie des textes sacrés. Parmi les moines et évêques qui y ont vécus, on trouve quelques saints. Notamment Saint Cuthbert (634 à 687 ap. J.C.) pour les écrits historiques et les Évangiles dits de Saint Cuthbert. Et plus particulièrement Eadfrith de Lindisfarne (. -721 ap. J. C.) à qui l’on doit le célèbre Évangiles de Lindisfarne ou Lindisfarne Gospels. Ces joyaux et ouvrages remarquables d’enluminures réalisés à Lindisfarne ont heureusement été préservés. Ils sont fondateurs pour l’histoire de l’art et la culture occidentale et ce à plus d’un titre.

St Cuthbert sur une fresque du XIe siècle – cathédrale de Durham
Une ère Viking en Grande-Bretagne
La date du 8 juin 793, date du pillage de Lindisfarne, est ce qu’il est convenu de nommer en termes d’historiographie le « début de l’Âge des Vikings », ou « ère Viking ». Cet événement à lieu en pleine période d’instabilité dans la construction territoriale et politique de l’Angleterre anglo-saxonne, ainsi que de l’expansion de la religion chrétienne. Même si de plus petits raids et pillages avaient déjà eu lieu auparavant, l’arrivée en force à Lindisfarne de colons vikings païens désireux d’accaparer de riches territoires, concurrence les pouvoirs en place et crée une onde de choc ressentie jusqu’à la cour de Charlemagne. Le pillage et la destruction d’objets de culte, de reliques sacrées, les meurtres, contribuent au rejet et à la peur suscitée par les danois. C’est la première expérience marquante d’opposition de croyances entre les païens scandinaves et les anglo-saxons à la foi chrétienne encore fragile.
Cette intrusion violente est l’occasion pour les pouvoirs anglo-saxons en place, marqués par l’instabilité et les luttes intestines, de tenter de se renforcer et de se structurer en s’unissant face à un ennemi commun. Des figures politiques importantes vont pouvoir apparaître tel Alfred le Grand (848 – 899). Ce roi du Wessex et premier roi d’Angleterre mettra fin pour un temps, lors de la bataille d’Ethandun (en mai 878, près d’un siècle après Lindisfarne) à l’expansion danoise, tout en préservant le territoire du Wessex. Son fils Édouard l’Ancien et son petit-fils Æthelstan y contribueront également. L’établissement viking pris corps par la création d’un Royaume viking d’York -ou Jórvík-, en 866 sur le territoire de la Northumbrie et du royaume de Deira. Ce royaume fut établi par la Grande Armée danoise -ou Grande Armée païenne- avec à sa tête, entre autres, les frères Ivar Boneless, Ubbe et Halfdan Ragnarsson. C’est la loi danoise ou “dane law”, imposée sur ce territoire, qui lui donna son nom : « Danelaw ».

L’attaque de Lindisfarne par les vikings en 732

Ivar Boneless dit « Ivar le désossé » dans la série « Vikings »
Alternance fragile des pouvoirs
Le pillage de Lindisfarne est le premier pas d’un affrontement entre deux mondes qui aboutira à une assimilation progressive des nouveaux colons en Angleterre. La mort d’Éric 1er “Hache sanglante”, dernier roi d’York, et la soumission de la Northumbrie par le roi Eadred du Wessex, entraîne un relatif statu quo qui suit la fin du Danelaw mais ne met fin ni à la présence ni à l’influence viking en Grande-Bretagne.
La pression vikings se manifeste une nouvelle fois par l’arrivée du prince danois Knut le Grand qui su allier une victoire militaire décisive sur la maison du Wessex à la bataille d’Assandun en octobre 1016, et un mariage intelligent avec Emma de Normandie, descendante directe de la branche danoises de Normandie par Rollon.
Cet enchevêtrement d’unions, de successions et de reconquêtes du pouvoir entre les maisons de Wessex, de Jelling et bientôt de Normandie trouva son point d’orgue à la bataille d’Hastings (1066) quand Guillaume le Conquérant tua Harold Godwinson, dernier roi sacré anglo-saxon, mettant définitivement fin au règne saxon en Angleterre.

Bataille d’Assandun en 1016. Illustration de Matthieu Paris (début du XIIIe siècle)
Héritage et métissages linguistiques
Les règnes des scandinaves puis celui des « anglo-normands » qui leur succéderont, joueront un rôle essentiel dans la construction du royaume d’Angleterre. Ces traces se retrouvent encore aujourd’hui. Le jeu des unions chrétiennes et « more danico » entre populations autochtones, noblesse anglaise et colons scandinaves, normands, les relations entre populations paysannes et nobles, les voyages entre Angleterre et Normandie … posent les bases d’une nouvelle population anglaise métissée. Les interactions culturelles, religieuses, économiques, les échanges de toutes natures permettent le développement d’une culture originale et riche. D’un point de vue linguistique, il serait tentant de trouver dans la langue anglaise de nombreux apports du scandinave oriental et du vocabulaire viking. Et par là un signe manifeste de son influence. Si un apport est réel et important, il est aussi à prendre avec beaucoup de prudence car rien n’est moins simple que de démêler les origines des termes, tant dans la langue parlée que dans la toponymie, de ce qui compose le “vieil anglais” puis l’anglais. Le “vieil anglais” s’est bâti sur les apports linguistiques des Jutes et des Angles, venus d’une région proche du Danemark. Les dialectes normands/français, saxons, scandinave/ “vieux norois”: danois, norvégiens, suédois… ont des origines communes germaniques. Il est de ce fait, très épineux d’en déduire une origine plus “viking” que saxonne. On citera bien sûr les inévitables jours de la semaine : thursday, jour de Thor, friday, jour de Frigg, tuesday, jour de Tyr. De même bon nombre de mots du vocabulaire maritime, environnemental et guerrier du patoîs du Yorkshire ou de anglais est emprunté aux langues scandinaves.
La langue anglo-normande, langues de lettrés et de hauts fonctionnaires, sera symbole d’élitisme au sein de la noblesse anglaise. Tour à tour intégrée ou rejetée au gré de l’histoire, elle symbolise surtout l’influence normande, et au-delà française, en Angleterre. On peut enfin rappeler la place toute particulière du Yorkshire, héritière du Danelaw, dans l’histoire de l’Angleterre. Son dialecte est le témoignage le plus marquant de l’héritage laissé par les vikings… à la suite du premier pied posé à Lindisfarne.
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